3 voix de la performance

 L’excellence en entreprise : 3 « voix » de la performance

 

Dans le langage des dirigeants, on retrouve souvent une sémantique empruntée au monde du sport ou à l’art de la guerre. L’entreprise n’est-elle pas en compétition avec d’autres entreprises, comme des athlètes en championnat ? Parfois même, elle doit se battre pour sa survie. A l’heure des changements permanents, technologiques, économiques ou financiers, pour gagner, un seul mot d’ordre : la performance.

 La performance est une notion que l’on retrouve dans des secteurs très différents de celui de l’entreprise. Mais la performance ne s’envisage pas de la même manière lorsque l’on est sportif de haut niveau, leader de la patrouille de France ou guide spirituel. Pourtant, tous parlent bien de performance.

 

1. La voix du sportif de haut: Gwendal Peizerat, médaille d’or au JO de Salt Lake City en danse sur glace

 Chacun peut se retrouver dans l’expérience de Gwendal : le travail pour obtenir le geste juste lors des programmes de compétition, les experts qui interviennent dans l’équipe (musique, costume, chorégraphie,…), les relations avec sa partenaire, son entraîneur, les victoires et les échecs,… Autant de situation qu’un homme de production, un acheteur, un logisticien, un qualiticien vivent au quotidien, mais dans un autre contexte.

 Pourquoi un couple de patinage gagne face aux autres alors que tous savent parfaitement bien patiner?

Gwendal dépeint le couple Peizerat/Anissina comme une « petite entreprise » dont l’objectif est la médaille d’or. Pour produire deux chorégraphies annuelles, se constitue une équipe à géométrie variable qui assume les différentes fonctions marketing, de production et de logistique. Le financement ne se fait que par les gains obtenus en compétition. Le noyau dur de cette petite entreprise se compose du couple Anissina/Peizerat ainsi que de l’entraîneur : Murielle Bouchet-Zazoui.

 

Une des clés de la performance réside dans la qualité première de l’entraîneur : « son ego zéro ». Muriel Bouchet-Zazoui travaille dans l’intérêt du couple et non dans le sien, en mettant de côté son ego. De plus, sous son impulsion, cette petite entreprise a su s’ouvrir aux influences extérieures en faisant intervenir des entraîneurs anglais, américains, russes ou hongrois. Ces regards neufs ont à la fois enrichi et resserré les liens au sein du noyau dur.  Cette ouverture s’est faite sans crainte de voir l’autorité ou les compétences de l’entraîneur remises en cause.

L’autre élément de la performance de cette petite entreprise est le couple lui-même. Leur relation associée aux qualités de leur entraîneur a mené à la réussite. Gwendal explique que l’un et l’autre ont travaillé un relationnel basé sur le « je-nous ». Il s’agit d’un va et vient permanent entre les intérêts et aspirations personnels : le « je » et ceux du couple : le « nous ». Ce jeu du « je-nous » a permis à ces deux fortes personnalités de n’en faire plus qu’une sur la glace.

 Que faut-il retenir de cette voix ? La performance prend corps, c’est un but à atteindre, valorisant et symbole d’excellence. Le champion sportif revêt souvent l’étoffe du héros, facilitant l’identification. L’entraînement pour le geste juste est un moyen d’accéder à la performance qui passe aussi par la formalisation de ce geste juste pour le reproduire en compétition. Même s’il est évident que le manager en entreprise doit atteindre la performance avec beaucoup moins de temps d’entraînement et de formalisation, une question se pose : quel entraînement pourrait-on leur bâtir ? Formation continue, enrichissement des fonctions, accompagnement, mobilité interne, implication de la hiérarchie, mise en situation, création de pépinière,… ?

  

2.La voix du: Christian Velluz, ex-learder de la patrouille de France

 Pour le sportif de haut niveau, la performance se concrétise au travers des compétitions et des médailles obtenues ; pour le corps d’armée, elle est production d’action. La performance est collective, mesurable à la réussite de cette action. Elle est même question de vie ou de mort. N’en est-il pas de même dans l’entreprise, si la performance n’est pas au rendez-vous ?

 Christian VELLUZ parle de son expérience de leader de la patrouille de France et des moyens d’atteindre la performance d’équipe. Son équipe de 8 pilotes, tous officiers, tous volontaires, issus de différentes unités de combat de l’armée de l’air, ont été recrutés sur la base de deux critères :

  • avoir au minimum 1500 heures de vol
  • avoir la capacité à travailler en équipe

 L’objectif visé est la stabilité et la cohérence de l’équipe. Pour éviter le poids des habitudes, les hommes sont recrutés pour des missions de 3 ans maximum. L’intégration définitive dans l’équipe se fait sur la base d’une expertise technique validée et l’observation de qualités humaines : tolérance, esprit positif, acceptation des règles établies.

 Qu’est-ce qui fait la particularité de la patrouille ? Le risque voire le danger. Ces pilotes réalisent des figures périlleuses, l’erreur humaine n’est pas permise car elle entraînerait la mort. Ce sont donc les conditions extrêmes de travail qui font de cette équipe, une équipe d’exception.


 Comment est-elle organisée ?  

L’équipe « Patrouille de France » ressemble beaucoup aux équipes en entreprise. Il y a un leader, des techniciens, des jeunes, des anciens, des individualistes : les solos et des ambitieux : le charognard.

Quelles règles la régissent ? 

  • La place de chacun : le meilleur pilote n’est pas celui que l’on voit.

 Dans la patrouille de France, les meilleurs pilotes, les extérieurs droit et gauche, sont ceux qui sont le plus éloignés du leader. Cette place n’est pas la plus spectaculaire, ni la plus prestigieuse. Le spectateur n’aura d’yeux que pour le leader ou les solos. Or, les solos effectuent une partie du programme, seuls, même si les figures sont impressionnantes, pas de risque de s’emmêler les ailes avec les autres. Par contre, les extérieurs doivent suivre les figures annoncées par le leader, tout en rattrapant les erreurs des intérieurs, qui sont beaucoup plus novices. Poste ingrat, mais capital pour la patrouille, les meilleurs pilotes pratiquent au quotidien « l’ego zéro ». Dans ces conditions, l’esprit d’équipe est essentiel, sinon, c’est l’accident assuré. Celui qui joue des coudes peut provoquer la mort de ses coéquipiers. Le leader doit savoir gérer toutes ces personnalités et les emmener vers la cohésion.

  • Le binôme « à la vie à la mort » du mécanicien et de son pilote.

La tradition veut que ce soit le mécanicien qui choisisse son pilote. Les pilotes de la patrouille de France sont d’ailleurs, photographiés avec leur double : leur mécanicien. Les noms du pilote et du mécanicien sont peints à l’identique sur « leur » avion. Le fait même que ce soit le mécanicien qui choisisse de travailler avec tel ou tel pilote montre bien son rôle central. Le pilote doit sa vie à sa virtuosité dans les airs mais surtout à son mécanicien qui prépare l’avion, sur terre. Un lien particulier se tisse qui repositionne le pilote à sa vraie place. Cette tradition évite aux pilotes d’être le centre de la patrouille et ceci contribue à l’esprit d’équipe voire à l’esprit de corps.

 

 

 

 

 

 

 

 

  •  Le leader : le chef d’orchestre

 Le leader doit savoir écouter en acceptant de modifier son point de vue. Il n’impose pas. Il n’est pas au dessus mais bien devant son équipe. Il supporte le poids de l’exemplarité : Il est celui qui montre et maîtrise les figures. Une erreur de sa part et c’est la vie de 8 pilotes qui est en jeu. Cette lourde responsabilité lui confère l’autorité de prendre des décisions pour l’équipe. Il prend la décision après « consultation » mais il a aussi un devoir d’explication sur la décision prise. En effet, cette dernière impacte la vie, les conditions de travail de l’équipe « patrouille de France ». C’est pourquoi, le leader donne des points de repère, s’assure de la compréhension de l’objectif et qu’aucune expertise n’a été écartée. Il est chef d’orchestre autant que grand frère ou patron. C’est un rôle complexe, extrêmement exigeant et qui marque fortement celui qui le tient. C’est pourquoi le leader ne l’est que pour une durée limitée.

  • Le cas du « bouclA »

Le leader est un chef d’orchestre au sens propre comme au sens figuré car il travaille aussi d’une certaine façon la musique. Il dirige la patrouille au son de sa voix et les équipiers se concentrent en répétant les gestes à effectuer pour chaque figure, à l’écoute de sa « musique ». Pour effectuer une boucle tous ensemble, il faut une belle coordination vocale. Christian et son équipe se sont mis d’accord sur le son et la syllabe qui déclencherait la boucle. L’équipe a choisi le A de « Boucla » car quand Christian annonçait « boucle », il finissait par un A. Ceci montre combien les liens et la compréhension intime au sein de l’équipe sont indispensables car une boucle démarrée en retard peut être fatale.

  • Le groupe : soutien psychologique

En cas d’accident, l’équipe est un support psychologique précieux. La diversité crée une dynamique et une solidarité. Dans la difficulté, il se recentre sur ses membres les plus expérimentés, ceux qui ont déjà traversé des épreuves similaires. Cette équipe est liée par un même amour : l’aviation. La personne en difficulté physique ou psychologique n’est jamais isolée car elle fait partie de cette « grande famille » qu’est la patrouille de France. L’équipe est donc contenante de par son idéal fort : l’amour de l’aviation.

  La voix du militaire apporte à  l’entreprise son art de la préparation des hommes et des missions. Mais les limites de l’apport militaire se situent au niveau du recrutement très caractéristique. On ne retrouve qu’un seul type de personnalité et il n’y a donc pas de réflexion sur la gestion des émotions, du stress et du risque de mort. De par la raison d’être de l’armée, celle-ci ne tolère pas la contre-performance car il en va de la sécurité du territoire et de la vie des hommes. C’est pourquoi, le recrutement s’apparente plus à une sélection naturelle. Or l’entreprise avance avec des personnalités très diverses, plus ou moins fragiles face aux situations difficiles.

 

3.  La voix du guide: lama Denys Teundroup, premier Lama français

 Cette voix permet de replacer l’homme au cœur de la performance en entreprise. Le but est d’apporter du sens et de la cohérence à l’action dans l’entreprise. Ceci peut paraître antinomique voire hors de propos d’associer performance et spiritualité, mais derrière ce terme se cache une méthode de préparation mentale.

 La performance est liée à une préparation physique, un entraînement (le sport de haut niveau), une méthode et une organisation (le militaire). Mais, le corps et la méthode ne peuvent être performants sans un sens dans l’action et une préparation mentale. Le corps et l’esprit sont liés.

La performance passe aussi par la performance de l’esprit. L’action n’est pas seulement activité, sinon elle n’est plus qu’activisme, course en avant génératrice de stress. Pour être dans l’action juste, il faut pleinement prendre en compte la réalité. En cela, certaines spiritualités sont pertinentes car elles travaillent depuis longtemps sur l’esprit, ses ressorts, ses forces et ses faiblesses. Le bouddhisme en est une. En effet, il apprend à accepter la réalité telle qu’elle est et c’est à partir de cette acceptation qu’il devient possible de savoir agir et prendre ses responsabilités.

Lama Denys évoque le monde de l’entreprise, qui se voit imposer des normes de productivité et de rentabilité allant parfois à l’encontre de l’humain. La mondialisation induit des stratégies de plus en plus agressives. Les managers commencent alors à s’interroger sur le sens et les conséquences de leur action.

Chacun doit apprendre à travailler avec les incertitudes sur l’avenir, l’adaptabilité permanente à des organisations changeantes : c’est le nouveau statut du travail. Cela rejoint un des concepts-clé du bouddhisme : l’impermanence de toute chose.  

Le manager est un être humain dans un contexte avec le lequel il tisse des liens pour pouvoir travailler, être efficace et performant. Il doit diriger, donner des impulsions, motiver, stimuler, faire naître une dynamique de groupe et arbitrer lors de l’attribution des moyens. Il est également garant des résultats et des performances dans son entreprise. Il subit une pression continue et doit imposer à ses collaborateurs des exigences de productivité. Indépendamment de ses qualités intellectuelles et techniques,  il devra surtout pouvoir gérer ses émotions et développer une action positive. 

 - la gestion des émotions :

Dans la vie en entreprise, l’émotion peut être une source de contre-performance. Savoir la gérer et l’utiliser à bon escient est un facteur de performance. Un manager dira qu’il sait contrôler ses émotions, or le contrôle conduit à une situation paradoxale et entraîne du stress. Pour parler de l’aspect néfaste du contrôle des émotions, Lama Denys prend cette image : « imaginez un ballon que l’on essaie de mettre sous l’eau ! ». Il faut en fait, faire l’inverse : accueillir l’émotion et travailler à son acceptation.

 - la conscience dans l’action :

 Développer sa conscience, c’est s’ouvrir à l’autre. Apprendre qu’il n’y a pas que « moi » dans la vie. Qui dit moi dit ego. Notre société a tendance à mettre l’ego en valeur or il constitue le piège fondamental pour tout manager. L’action comme les décisions se font en toute conscience lorsqu’elles sont débarrassées du prisme de l’ego.

 Nos émotions comme notre ego ne sont pas des ennemis à détruire. Plus on tente de les nier ou de les combattre de manière agressive, plus on renforce leur agitation et leur puissance. Il s’agit donc de se réconcilier avec soi-même et d’accepter l’ego avec ses passions. Bien sûr, accepter l’ego et ses émotions ne signifie pas s’y complaire mais les dépasser.

 - la compréhension de l’interdépendance :

Au niveau de l’entreprise, le manager doit avoir une conscience aigue des buts de l’entreprise, c’est-à-dire fabriquer, produire des services et faire du profit. Ceci n’est possible qu’à condition de considérer les individus qui constituent l’entreprise car salariés et employeurs sont interdépendants. De la prise en compte de cette interdépendance naît une situation de performance dans l’entreprise. 

 - la performance et le plaisir

La performance est aussi plaisir de l’esprit. L’impératif de performance n’est pas seulement lié au résultat ; il se justifie dans l’acquisition et la conduite des processus qui génèrent le résultat. « Quand ça marche, comment ça marche ? » En ce sens, la performance est source de plaisir et entretient la motivation. Nous décortiquons le processus de réussite pour en savourer le goût et le rendre reproductible.

 Conclusion : Confronter la performance aux sphères du sport de haut niveau, du militaire et du spirituel revient à prendre en compte les trois éléments fondamentaux de l’être humain dans l’atteinte de l’excellence: le corps, l’esprit et l’action. L’entreprise s’enrichit de ces « voix » car elles parlent de l’humain, sa richesse première. S’ouvrir et interagir avec des personnes très différentes est une des solutions au maintien de la performance en entreprise. Mais investir dans la performance future impose de renouveler et développer les forces vives. A l’heure où l’on parle de rentabilité financière à court terme, les entreprises sont-elles prêtes à investir dans ce domaine ? Au risque d’hypothéquer sur le long terme leur performance?


Laetitia Bertin

Coach - Responsable Ressources Humaines



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21 juin 2012, 23:59
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